Un compte-rendu d’audience sur le blog de Suisse Magazine ! Quezaco ? Ma foi, d’abord il s’agit de la XVIIème correctionnelle du TGI de Paris, la chambre de la presse, et cela ne peut pas nous laisser indifférent. Ensuite il s’agit des parages de l’affaire Bettencourt, à défaut de l’affaire Cahuzac, et la Suisse n’est pas très loin.

Or donc, depuis 2010, Médiapart, en la personne de son président Edwy Plenel, poursuit Xavier Bertrand, ex secrétaire général de l’Ump pour les propos qu’il avait prononcés en marge d’un meeting au Raincy, qualifiant Médiapart de site aux méthodes douteuses et fascistes qui rappelaient des temps révolus. Médiapart venait de publier quelques extraits d’une bande enregistrée par le majordome de Mme Bettencourt, bande qui mettait quelque peu en cause divers hauts responsables de l’UMP et démentait une thèse officielle. Xavier Bertrand s’indignait notamment de l’usage d’un enregistrement non autorisé, et d’une atteinte à la présomption d’innocence.

Configuration étonnante, car devant la XVIIème c’est souvent le média qui est poursuivi en diffamation par un particulier, alors que là c’est le Media qui s’estime diffamé par un particulier.

Fidèle à son image Edwy Plenel rappelle les règles et les valeurs de Médiapart, qu’il présente comme un quatrième pouvoir dont la fin justifie parfois les moyens et qui se doit de révéler ce que d’autres taisent. Comme à l’accoutumée, il dément toute intention politique et précise qu’il se contente de livrer des informations dont il pense qu’elles sont profitables à la démocratie. Petit clin d’oeil aussi quand il mes en perspective les 5 millions qu’a coûté la création de Médiapart avec les 350 millions de recettes fiscales que les «dossiers de Médiapart » ont permis au fisc de récupérer.

Très intéressant témoignage de son directeur éditorial, cité comme témoin, qui révèle un peu des méthodes de Médiapart, qui partage obligatoirement chaque dossier sensible entre plusieurs journalistes, et qui se fait une règle absolue de toujours respecter le contradictoire et vérifier scrupuleusement ses informations. Suite de la visite organisée par Edwy Plenel, qui précise qu’une charte très exigeante oblige les journalistes de Médiapart à révéler leurs sources à leur direction, si celle-ci leur demande, et qui explique suivre de près la jurisprudence de la XVIIème et citant l’exemple d’une condamnation pour délai insuffisant entre l’appel à la personne en cours de mise en cause et la parution.

Médiapart réfute avoir procédé à des écoutes, et expose avoir expurgé avant publication la fameuse bande «majordome» de tout ce qui pouvait relever de la vie privée. Au nom du quatrième pouvoir, Edwy Plenel rappelle qu’il assume parfaitement publier des enregistrements dont l’obtention peut être discutée, comme il assume avoir du publier des documents couverts par le secret défense. Médiapart témoigne, ne juge pas, mais témoigne de tout.

Deux avocats, JP Mignard, fidèle d’Edwy Plenel depuis 40 ans, et son associé Emmanuel Tordjmann, plaideront ensuite ce qu’il faut toujours démontrer à la XVIIème. Oui c’est bien Médiapart qui était visé. Le site n’était pas nommément cité, mais si Xavier Bertrand indique viser plusieurs sites, il ne nie pas parler de Médiapart. Oui les allégations sont précises, et attentatoires à l’honneur. Longues démonstration sur le fait que pour le SG d’un parti se réclamant de la tradition gaullienne, le fascisme est une notion précise et l’habitude oratoire de X Bertrand exclut un mot involontaire. Non, il n’y a pas d’excuse de bonne foi. Les conseils de M. Plenel feront maladroitement référence à quelques propos de Christian Vanneste, ce que leurs contradicteurs ne manqueront pas d’exploiter.
Ambiance amusée aussi quand Edwy Plenel souligne ne pas avoir demandé l'inscription au casier de la condamnation à venir de Xavier Bertrand, afin de ne pas le rendre inéligible, et de ne pas e priver d'un opposant.

Le procureur, qui on le rappelle n’a qu’un rôle annexe dans cette affaire entre parties, essaiera de cadre le débat, en exposant notamment qu’il peine à caractériser l’infraction de diffamation, et que si on aurait pu éventuellement parler d’injure, ce chef de renvoi n’est pas dans la prévention.

Les avocats de Xavier Bertrand, quant à eux, plaideront sur l’indignation d’un homme qui défend la loyauté des débats, son ami Eric Woerth, et la liberté du dialogue politique qui ne fait pas une grande différence entre le terme « dégueulasse » que X Bertrand utilisait récemment et le terme de « fasciste » qui fait objet du renvoi. Ils ne manqueront pas non plus de s’étonner que Médiapart ait procédé par plainte avec constitution de partie civile et non par citation directe, afin d’éviter une longue enquête. Face à l’affirmation d’Edwy Plenel que c’est grâce à Médiapart que les enregistrements ont été révélés, ils opposent notamment qu’à cette époque, les enregistrements étaient déjà en mains de la PJ et de celui qu’il appellent le juge Courroye, ce qu’Edwy Plenel corrige en procureur, en souriant. Médiapart ayant rappelé que son patron avait été l’un des pourfendeurs des écoutes de l’Elysée, il était tentant de lui opposer qu’il hésite moins à écouter les bandes des autres.

Xavier Bertrand, invité bien sur à prendre la parole en dernier, réfute les arguments de Médiapart comme quoi les propos tenus quasi simultanément par lui-même, C. Estrosi, N. Morano, B. Lancar et d’autres aient été une opération coordonnée d’une cellule riposte de l’UMP. Il « révèle même une recette », jamais un professionnel comme lui n’aurait commis la bévue de lancer une riposte après le 20heures, au risque de n’être pas repris dans les journaux du lendemain. Et de souligner que Médiapart n’est qu’un « journal en ligne », et qu’il vise la presse papier, la vraie. Quant au supposé coaching à 15 d’Eric Woerth avant son 20heures, n’importe quoi. Le coaching, ça se fait en tête à tête. Non mais.

Délibéré au 26 Mars.

Mais finalement, à part une fort intéressante visite dans les coulisses de Médiapart, et une leçon de media bashing de Xavier Bertrand, on reste un peu sur sa faim, le média se revendiquant au dessus des lois ou plus exactement à leur niveau pour aider à faire éclater la vérité que les trois autres pouvoirs tardent un peu à établir, et le politique revendiquant à la fois la liberté de parole et un certain contrôle des procédés de la presse. A part la curiosité que représentait la présence du média en demande et du particulier en défense, mieux vaut remettre chacun sur son banc. D’après le début de l’audience, consacré à la mise en état, la rentrée sera bien occupée par des plaintes de Charles Pasqua et de la famille Le Pen au grand complet. Ah si, une audience de plaidoirie annulée fin Février, que le président de XVIIème tente de remplir en proposant cette date à toutes les affaires qui semblent presque en état. Aucune partie ne semble intéressée. Qu’on ne dise pas que la justice est lente pour les parties.

Les propos incriminés : Ce sont des méthodes, des méthodes d'un autre temps. Et quand certains médias et notamment un site utilisent des méthodes fascistes à partir notamment je le dis d'écoutes qui sont totalement illégales, avec justement des rumeurs, un responsable de ce site dit "ah, écoutez, on n'a pas de preuve mais c'est plausible", non mais attendez, dans quel monde on est, dans quel monde on est ! Ah, parce que c'est plausible on se permet de mettre en accusation un ministre de la République et le président de la République. C'est pas comme ça que fonctionne la démocratie française. Et je vous le dis, je vous le dis, on a conscience de la charge qu'est la nôtre, de la responsabilité qu'est la nôtre. Mais une chose est certaine, on n'est pas décidés à laisser s'implanter dans notre pays des méthodes d'un autre temps. Pour le procès en direct : http://www.newsring.fr/actualite/1002761-Médiapart-vs-xavier-bertrand-le-proces