Notre rubrique vos droits vos intérêts attire
régulièrement votre attention sur le risque à écouter les sirènes des
marchands de placements. Chronique d'une affaire que nous avions déjà
évoquée et qui a aussi un petit volet suisse, non abordé ici car
secondaire.
L’affaire Apollonia, le plus gros scandale bancaire de
France
ou une affaire parmi
tant d’autres ?
Ce 20 Novembre 2013 au matin, Claude
Michel, président de l’association des victimes d’Apollonia http://asdevilm.org/ ,
et Maître Jacques Gobert, avocat de diverses victimes et de l’Association,
réunissaient la presse à l’occasion d’un triste anniversaire, les cinq ans de
l’éclatement de l’escroquerie présumée.
Rappelons en quelques mots les
contours de l’affaire.
Une société
immobilière, Apollonia, proposait avec l’aide de banques et de notaires des
placements dans l’immobilier locatif, boostés par un effet de levier et des
emprunts conséquents.
Bilan :
1 000 personnes (500 familles) se sont très lourdement endettées pour un montant
cumulé d’environ un milliard pour se
rendre compte que les LMP et autres placements qu’ils avaient souscrit n’avaient ni la consistance
ni la valeur qu’on leur avait annoncée ( chiffre cité : des studios à
13 000 euros/m) à Roissy) et ne
peuvent aujourd’hui faire face à leurs remboursements étant endettés à hauteur
de plusieurs fois leur patrimoine pour des échéances de plusieurs fois leurs
revenus.
Comment cela a-t-il pu se passer ?
Nous vous
avons déjà décrit les nombreux signaux d’alarme non détectés dans un récent
ouvrage mentionnant parmi d’autres une affaire similaire dans le ressort de la
même cour d’appel, http://www.editions-eyrolles.com/Livre/9782212555875 (**).
Mais comme le rappelle justement le président de l’Asdevilm, la naïveté
n’est pas encore un délit pénal.
Ici, ce dont nous rendent compte l'avocat et le président, qui ont tout deux épluché le détail du dossier pénal, les
dysfonctionnements des mécanismes de sécurité de nature à engager la responsabilité des banques et notaires ont été largement plus nombreux :
-
le
«client» ne voyait pratiquement rien passer de son dossier, tout étant pris en
charge par des intermédiaires qui se faisaient adresser aussi bien les offres
que les acceptations. Contournement par les banques de la loi Scrivener
(pourtant d’ordre public), absence de possibilité de rétractation,
surendettement sans la moindre alerte étaient dès lors facilité
-
les
notaires, officiers publics chargés de rédiger une acquisition immobilière et
donc de recevoir un acte solennel, avec des formes et des exigences
particulières, sous-traitaient sans formalité … toujours selon l’association et
son conseil ; ils ont pu constater
que des centaines d’actes étaient réputés signés le même jour par le même
notaire, aux six coins de l’hexagone. Et quand vient l’heure des confrontations,
quelle ne fut pas leur surprise de découvrir que « la grande blonde qui
s’était présentée comme le notaire s’appelait Jacques(*) » ou que
« c’était un simple coursier ou courtier qui avait instrumenté à la place
du notaire et de son clerc ».
-
les
banques avaient acté au niveau comité de direction, toujours selon les orateurs
et les extraits de pièces qu’ils mettent à disposition, une mise à l’écart complète
de leur système de contrôle interne afin d’accélérer les flux d’affaires avec
l’important apporteur d’affaires qu’était Apollonia. Au passage néanmoins,
certains taux étaient «relevés au vu du caractère risqué de l’investissement».
Borgnes, mais pas aveugles. Les victimes ajoutent que ce faisant les banques, en violant les textes ont fourni les moyens de l'escroquerie et se sont octroyées des bénéfices substantiels en octroyant au passage des crédits à des conditions particulièrement lucratives au détriment des victimes.
Les
conséquences sont évidemment dramatiques car les victimes ne se sont pas
contentées de perdre toute leur épargne, elles sont lourdement endettées, à
hauteur de plusieurs fois leur patrimoine, et se voient frappées non seulement
d’interdiction bancaire mais aussi de saisies sur tout ce qu’elles peuvent
posséder ou gagner. Nous ne rendons compte ici que de l’aspect technique du
dossier, mais les situations humaines qu’il recouvre n’en sont pas moins
dramatiques.
Et surtout
ce que déplorent les victimes et leur avocat, c’est l’impression qu’elles sont
les seules « condamnées », alors que ceux qu’elles estiment être les
responsables de leurs malheurs continuent d’exercer leurs activités en toute
impunité.
Le tableau qu’elles dressent est en
effet assez lourd : Ecoutons-les :
-
« plusieurs
notaires ont été mis en examen pour notamment escroquerie en, bande organisée
et faux et usage de faux en écriture publique par personne chargée d’une
mission de service public, et certaines ont même fait un séjour dans les
« programmes immobiliers de la justice », mais ... présomption
d‘innocence et longueur de la procédure oblige, ils ont finalement été
autorisés à continuer de pratiquer leur métier, car il faut bien vivre.
Autrement dit le quidam peut très bien demain voir instrumenter un acte authentique
par un officier ministériel prévenu de
faux en écritures publiques ... rassurant
-
les
banques mises en examen n’en ont pas moins continué leurs activités, y compris
dans le domaine immobilier,et cruauté suprême, n’hésitent pas – le droit ne les
en empêche pas – à pratiquer des saisies grâce aux copies exécutoires des actes
de prêts délivrées dans le cadre indiqué ci-dessus.
-
certains
des anciens animateurs commerciaux d’Apollonia exercent de nouveau, dans de
nouvelles structures et en toute impunité
-
la
publicité actuelle autour de la mise en extinction du Crédit Immobilier de
France a permis aussi de mesure le coût pour le contribuable et le confortable
parachute voté à son ex dirigeant par ailleurs cité par les victimes
-
l’Autorité
de Contrôle Prudentiel, saisie d’un volumineux dossier n’aurait, selon l’avocat des victimes,
répondu que par un « circulez il n’y a rien à voir »
-
un
dossier pénal avec des centaines de procédures, plus de 70 000 cotes au
dossier, une enquête menée par le pôle d’instruction interrégional de Marseille
puis par un service spécialisé de Nanterre, deux juges d’instruction … et
malgré cela toujours rien au pénal et ce malgré de nombreuses interventions
auprès de politiques et d’élus de tous bords »
Alors comment expliquer cet
ensablement apparent du dossier ?
Nous avons
d’abord interrogé Maître Gobert sur le
risque qu’il y avait à mener de front une procédure pénale et des procédures
civiles, étant rappelé que la procédure pénale vise avant tout à punir un
délit ou un crime et non à réparer le dommage, et que dans d’autres dossiers,
les volets civils ont donné lieu à des transactions satisfaisant les victimes
et mettant fin à l’action dans le cadre de stratégies dites de « deep
pocket » qui conduisent à faire payer non pas le principal responsable,
mais son voisin le plus solvable.Ici, rappelle Maître Gobert, les notaires et banques non seulement se sont rendues coupables de déviances significatives, mais en ont aussi tiré profit.
Bien
conscient du risque de se soumettre à une politique pénale qui, souvent faute
de moyens, privilégie la sanction de délits significatifs quitte à ignorer des
délits moins «importants » Maître Gobert rappelle que sans l’action
publique, il lui aurait été impossible de réunir les preuves des innombrables
anomalies qui jonchent ce dossier. Notons au passage que Maître Gobert a pu obtenir de la CA d'Aix l'autorisation de verser les pièces pièces pénales au dossier civil,
empêchant un phénomène malheureusement classique permettant aux escrocs d’échapper
à la sanction civile faute de preuve alors que la preuve est avérée au dossier
pénal. Sur d’autres aspects, il a en revanche du aller jusqu’en CEDH pour tenter de se
faire entendre.
Il n’en
reste pas moins que le dossier s’est heurté à une rétrogradation de
l’incrimination des banques, que les victimes ont – c’est compréhensible – du
mal à admettre mais qui est du semble-t-il à deux phénomènes cumulatifs
-
une
stratégie d’enquête pénale qui évite de « disperser » les
responsabilités, bien consciente que à
force de multiplier les complices et fournisseurs de moyens, la gravité de
l’escroquerie principale s’efface petit à petit et que l’instigateur présumé
pourrait s’évaporer au milieu des dizaines de « complices présumés»
-
un
argument plus juridique, qui est que le pénal est d’interprétation stricte, et
que notamment en matière d’escroquerie, le délit n’est constitué qu’en présence
d’une intention coupable démontrée,
l’accumulation de négligences pouvant donner lieu à la réparation d’un délit
civil mais nullement à une poursuite pénale
Tout ceci
conduit à penser que dans ce genre d’affaire, le pénal n’est pas
nécessairement la voie à élire, car le
pénal visera avant tout la protection de la société et refusera de se laisser
« instrumenter » au profit des victimes civiles.
Interrogé sur le caractère «pur» des victimes,
par comparaison avec d’autres dossiers où l’on craint de retrouver au rang des
victimes ainsi déclarées une partie de ceux qui ont recyclé l’argent détourné
ou qui ont profité de l’escroquerie, tant l’association que leur avocat
assurent que les choses sont claires. Si bien entendu le bouche à oreille a
joué, en revanche et contrairement à d’autres dossiers, aucune victime n’a été
rémunérée pour l’apport d’un dossier, et – autre différence marquante avec
d’autres dossiers selon M° Gobert -
chaque victime peut faire la preuve détaillée et opposable des fonds investis
et de leur origine, ce qui ôte potentiellement un obstacle lourd à
l’indemnisation attendue.
Interrogé
sur les possibilités de négociations
ouvertes par les banques, toujours au regard d’autres dossiers où les
établissements financiers, même sans reconnaissance de faute, ont proposé, parfois même sans être
entendues, de « solder les
compteurs », l’association et son avocat indiquent que les propositions
des banques, le plus souvent faites en direct aux victimes, dans le dos de
l’association et de son conseil, se contentent de proposer d’étaler la dette
d’une banque au seul réputé supportable de 1/3 de taux d’effort. Mais ces 1/3
sont à Marseille, et même si cela ne
dépend pas de la grandeur des tiers,
lorsqu’il y a 3 ou 5 établissements qui
proposent de « se contenter de prélever 1/3 du revenu chacun» la
situation n’en reste pas moins inacceptable.
Interrogé sur leurs relations dans la durée, tant
le président de l’association que l’avocat montrent une belle solidarité malgré
l’ancienneté de l’affaire, et les retournements douloureux subis, et se
déclarent parfaitement conscients du risque qu’il y aurait à se tromper de
combat, ou à décrédibiliser le dossier par une communication brouillonne ou par
l’annonce anticipée de résultats dans des domaines où rien n’est jamais acquis simplement.
En ce qui concerne l’ACPR, en revanche, les deux
protagonistes indiquent avoir l’impression de se heurter à un mur qui protège
le système et qui – toujours selon leurs déclarations – n’aurait quasiment pas répondu
à une lettre circonstanciée et accompagnée de 500 pages d’annexes. Alors on
peut conjecturer sur le fait que le l’ACPR privilégie sa mission de protection
« systémique » des banques avant sa mission de prévention des
multiples escroqueries par violation de disposition prudentielles où elle
n’intervient le plus souvent qu’à l’autopsie ou au contraire penser avec les
victimes ou avec l’auteur de http://www.amazon.fr/avec-lAssurance-Ma-Non-Consideration/dp/2754719482 qu’il s’agit plutôt d’un manque
d’indépendance où ceux qui sont chargé de contrôler et de sanctionner sont trop
proches de ceux qu’ils sont supposés contrôler.
Personnellement,
(et si je me suis contenté jusqu’ici de rendre compte des déclarations de
l’association et de son avocat, difficiles à vérifier sans devoir éplucher les
70 000 cotes du dossier pénal – il s’agit maintenant d’un avis personnel )
– j’ai plutôt tendance à penser que cette affaire, comme d’autres puisque même
si les quantum et mode d’opérer varient (***) – les similitudes sont frappantes, cette
« insupportable passivité » relève en fait d’un aveu implicite
d’impuissance des autorités aussi bien bancaires que judiciaires face à une
machine financière emballée depuis longtemps, que plus personne ne contrôle, et
que chacun regarde passer « haut le pied » devant la gare dont il est
le chef (…) en priant le ciel que le déraillement ne se produise qu’un peu plus
loin.
A méditer
par ceux qui pourraient penser un peu trop vite que le relevé d’une faute de
contrôle interne chez le voisin, voire même la reconnaissance d’une intervention
ayant facilité une escroquerie est une assurance tous risques pour obtenir un
remboursement rapide et intégral des fonds qu’ils ont malheureusement imprudemment
confiés.
Philippe
Alliaume
(*) prénom
fictif
(**) Pour
éviter toute polémique ou soupçon de conflit d’intérêt, le rédacteur précise
qu’outre ses activités journalistiques, il a assuré des fonctions de direction
nationale au CIF entre 1990 et 2000, qu’il a assuré des missions
d’administration d’urgence pour l’ACP, qu’il est l’auteur de l’ouvrage Eyrolles
cité plus haut et que s’il n’est nullement impliqué dans l’affaire ci-dessus,
il connaît évidemment un certain nombre des protagonistes de cette affaire et
d’autres similaires.
(***) est
actuellement instruite à Marseille outre Apollonia notamment l’affaire DO
Conseil dite le petit Madoff du Var
dans son aspect principal, étant observé qu’une escroquerie par défiscalisation
dans l’escroquerie semble aussi sur le point d’intéresser aussi la justice.
L’affaire dite «Alsass» instruite en Alsace présente quant à elle des particularités tout à fait inverses. D’autres
affaires de placement fictifs éclatent presque chaque trimestre. Et Maître Gobert indiquait qu’il n'excluait pas l'éclatement prochain de nouveaux dossiers..