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mercredi 25 mars 2020

Le fédéralisme à l'épreuve de la pandémie

Comment le Conseil fédéral prépare les Suisses à la rupture

Le Conseil fédéral met en œuvre une stratégie de communication de crise mise au point depuis dix ans. Celle-ci doit composer avec le fédéralisme et des attentes souvent contradictoires. Elle n’échappe pas à d’inévitables cahots
Trouver le bon dosage. C’est le souci de la communication du Conseil fédéral en temps de crise. L’homme qui est à la manœuvre, c’est André Simonazzi, le vice-chancelier et porte-parole du gouvernement. «Nous préparons l’information en cas de crise depuis dix ans et nous l’avons mise en place il y a un mois», explique-t-il au Temps.

La Suisse n’est pas, contrairement à la France, un Etat centralisé où le président annonce ses décisions au Journal télévisé de 20 heures. Elle s’en distingue par plusieurs aspects importants en cas de crise. Elle a une structure fédéraliste, ce qui signifie qu’il faut impliquer les cantons. Et son gouvernement intègre les principales forces politiques, ce qui signifie qu’il faut fédérer des positions souvent diamétralement opposées.

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«Il est important de communiquer d’une même voix à tous les niveaux. Nous nous efforçons de tenir une ligne commune avec les cantons», reprend le vice-chancelier, en concédant que ce n’est pas facile lorsque la crise affecte certaines régions plus fortement que d’autres, en l’occurrence le Tessin, Vaud et Genève.

Le «dégradé démocratique»

Or, depuis dix jours, la Suisse est en «situation extraordinaire», ce qui confère au Conseil fédéral des compétences d’intervention plus étendues. Ce renforcement du pouvoir exige une approche prudente, estime le politologue Claude Longchamp, ex-patron de l’institut gfs.bern. «Les Suisses sont habitués à la continuité, pas à la rupture. Le Conseil fédéral est pris entre deux champs de tension. D’un côté, les médecins et les virologues le pressent de renforcer le confinement sans délai. De l’autre, les économistes avertissent que la crise va coûter 200 milliards de francs et tuer l’économie», observe-t-il. «Il est obligé de procéder par étapes, d’analyser l’impact de chaque pas avant de passer au suivant», ajoute-t-il. Il applique ce que l’historien Olivier Meuwly appelle le «dégradé démocratique: on attend le dernier moment pour entraver la liberté».

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Logiquement, le ministre de la Santé incarne le combat contre le coronavirus. Ses équipes de communication, au niveau du département comme à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), ont d’ailleurs été renforcées par des transferts internes, révèle André Simonazzi. C’est Alain Berset qui a fait les premières annonces. Depuis le 13 mars, il est accompagné de deux à trois de ses collègues selon les enjeux. Jamais davantage, car le gouvernement a décidé que cinq personnes au maximum, André Simonazzi inclus, pouvaient se côtoyer sur la tribune de la salle de presse de Berne.

Pourquoi Ignazio Cassis est-il absent?

On a ainsi entendu Viola Amherd expliquer l’engagement de l’armée et Karin Keller-Sutter les enjeux juridiques, judiciaires et frontaliers. Le lundi 16 mars, la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga est venue expliquer elle-même que la Suisse passait à l’état d’urgence. Le vendredi 20, lorsque Guy Parmelin et Ueli Maurer ont présenté leur plan d’action économique, elle n’était pas présente mais préparait en parallèle son message aux citoyennes et aux citoyens publié dans les médias le lendemain.

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A ce jour, un seul conseiller fédéral, Ignazio Cassis, pourtant médecin mais qui n’a pas le portefeuille de la Santé, n’est pas apparu en conférence de presse. Pourquoi? «Il aurait été d’accord de venir si le besoin s’en était fait ressentir, notamment pour s’adresser aux Suisses de l’étranger», assure André Simonazzi. Mais les priorités du Conseil fédéral étaient avant tout sanitaires et économiques et ciblaient les 8 millions d’habitants du pays. Ignazio Cassis s’est adressé, lui, aux Tessinois, ainsi qu’aux Suisses de l’étranger via les réseaux sociaux et les ambassades, précise André Simonazzi.

Succès phénoménal sur YouTube

En fait-on assez? Trop? Trop peu? La question est permanente. «Il faut éviter la confusion et se montrer le plus clair possible. Mais il faut aussi trouver l’équilibre entre la nécessité de communiquer régulièrement et le risque de banaliser le message», souligne André Simonazzi. Or, dans une situation aussi inédite, complexe et durable, la confusion surgit très vite. C’est le cas avec le nombre de victimes: les chiffres de l’OFSP ne recoupent pas ceux des cantons. «C’est l’ombre au tableau de la communication fédérale», regrette Claude Longchamp. Par ailleurs, les soutiens économiques annoncés ont laissé plusieurs patrons de PME dans l’incertitude. Un besoin de clarification demeure.

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La stratégie et la communication du Conseil fédéral sont critiquées par le corps médical et par celles et ceux qui pensent qu’il aurait dû agir plus vite. Claude Longchamp la comprend cependant: «Cela peut donner le sentiment que la Suisse a un temps de retard. Mais nous sommes en train de vivre le plus grand changement sociologique du XXIe siècle. Les annonces sont faites avec sérieux et prudence. Et le potentiel de conflit est grand lorsque le gouvernement impose les mêmes règles à tous les cantons», dit-il. Dans leur ensemble, les Suisses semblent suivre. Ils se montrent plutôt disciplinés. Et curieux: sur YouTube, chaque conférence de presse du Conseil fédéral est suivie par près de 800 000 personnes! «C’est absolument incroyable», s’étonne Claude Longchamp.

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